Il devient nécessaire, sinon impératif, de se réapproprier politiquement, au moins pour partie, la création et la répartition de la monnaie pour « bifurquer vers un projet de société qui place le respect de l'humain et des limites planétaires avant la croissance économique et le rendement financier ».
Cette table ronde est initiée et animée par Jean Pascal Derumier et Cristina Bertelli, membres fondateurs UBC.Paris
Les intervenant.e.s
Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste, maîtresse de conférence à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses travaux portent sur les banques, l’instabilité et la régulation financières. Elle a exercé diverses responsabilités au sein de l’Encyclopaedia Universalis, du Conseil d’analyse économique et du CEPII. Depuis septembre 2020, elle a rejoint l’Institut Veblen en qualité de conseillère scientifique. Elle a également la responsabilité scientifique de la chaire Energie et prospérité.
Jean Beaujouan est un ancien cadre dirigeant de banque. Il a fondé l’association Crésus Île-de-France (accompagnement des personnes surendettées), puis créé l’association Osons parler argent qui devient, en 2023, l’Université populaire de l’argent, UPA,, qu’il anime avec une quinzaine de bénévoles. Ses travaux portent sur les différentes approches de l’argent (budgétaire, sociologique et psychopathologiques (avec notamment un cycle de formation pour les psychanalystes et psychothérapeutes)
Yovan Gilles, outre une activité artistique scénique polyvalente, la rédaction de nombreux articles et la coordination d’ouvrages collectifs, a participé dès 1997 à l’organisation des premiers forums sociaux mondiaux. Durant les vingt dernières années, il est engagé dans une activité évènementielle pluridisciplinaire, éditoriale et multi-support avec la revue Les périphériques vous parlent (corédacteur en chef) à travers différentes dynamiques : collectif Travail & démocratie, lutte contre les discriminations (formateur), Université du bien commun à Paris, prévention des risques toxiques, santé environnementale, lancement d’alerte… Il a publié en 2022 l’ouvrage Travail et réalisation de soi. La condition œuvrière (Éditions Libre & Solidaire).
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PROGRAMME
Transformer la monnaie pour transformer la société est-il possible ?
La monnaie est l’une des institutions les plus fondamentales dans l’ordre social des sociétés marchandes : « la monnaie fait société par le lien qu’elle introduit entre nous, en nous donnant un langage commun pour exprimer la valeur du bien et de l’échange […] C’est une institution sociale qui engage un rapport au monde, façonne les représentations et les pratiques des individus. » Mais, c’est aussi un objet totémique dans lequel réside le pouvoir d’action et le pouvoir de vivre (le pouvoir d’achat) : dans nos sociétés modernes, rien, ou presque, n’est possible sans l’usage de la monnaie, c’est-à-dire, plus prosaïquement, de l’argent.
La monnaie est aujourd’hui une monnaie bancaire, qui articule la monnaie privée créée par la banque commerciale et la monnaie légale émise par la banque centrale : encastrée d’abord dans le marché du crédit, elle l’est également dans celui des titres, demeurant ainsi le levier du capitalisme à travers ses diverses mutations ; son installation fut le levier du capitalisme marchand, son essor celui du capitalisme industriel, sa financiarisation celui du capitalisme financier. Par ces mécanismes, elle a très largement échappé au pouvoir politique.
Il devient nécessaire, sinon impératif, de se réapproprier politiquement, au moins pour partie, la création et la répartition de la monnaie pour « bifurquer vers un projet de société qui place le respect de l’humain et des limites planétaires avant la croissance économique et le rendement financier ».
C’est ce que proposent les auteurs du livre Le pouvoir de la monnaie* : une bifurcation qui ne viendrait pas renverser le système monétaire actuel, mais qui le compléterait pour limiter sa propension à servir l’ordre marchand et pour financer et servir le bien commun. Il s’agirait d’une monnaie « volontaire », émise pour subventionner des projets d’investissement indispensables à la transformation sociale-écologique mais financièrement non rentables et couvrant par-là la sphère des biens communs et des communs.
Une bifurcation écologique et sociale s’appuyant sur une bifurcation monétaire
Ces choix ne peuvent pas être laissés aux seuls politiques et devraient, dans l’idéal, être plus largement soumis à l’arbitrage des citoyens. Une telle réappropriation collective ouvrirait alors la voie à une monnaie bien-commun, c’est-à-dire une monnaie ré-enchâssée dans le social dont les volumes et les usages seraient décidés démocratiquement. C’est à cette condition que nous adapterons la monnaie aux défis de notre temps pour en mobiliser la puissance aux justes endroits.
Dans son intervention, Jézabel Couppey-Soubeyran replacera la monnaie dans ses perspectives historiques et actuelles; elle nous expliquera ensuite par quels mécanismes la monnaie volontaire peut être émise, en quoi et comment elle pourrait répondre, au plan européen, à ces nouvelles exigences en adaptant le système monétaire à une société post-croissance. Pour elle : « On ne changera pas la société en changeant seulement la monnaie, mais on ne la changera pas non plus sans changer la monnaie : tout grand changement sociétal va de pair avec un changement monétaire. La bifurcation écologique et sociale devra donc s’appuyer sur une bifurcation monétaire, adaptant la monnaie aux défis de notre temps pour mobiliser sa puissance de transformation ».
Jean Beaujouan montrera ensuite, à travers quelques exemples concrets, comment l’argent est naturellement créateur de bien commun à travers ses trois fonctions universelles : évaluer la valeur des choses, payer, et stocker la valeur, qui favorisent le développement de l’échange marchand et donc la création de richesse. Mais nous verrons également que, lorsqu’il est manipulé par les individus ou les classes sociales les plus aisées à des fins d’accaparement et au détriment de l’intérêt général, l’argent peut également se révéler un instrument de destruction du bien commun et du lien social, et comment on peut, même modestement, chercher à limiter les effets dangereusement destructeurs de ce que certains observateurs appellent parfois l’argent fou.
Yovan Gilles nous parlera ensuite des monnaies complémentaires ; qu’elles soient fiduciaires, scripturales ou d’une autre nature, les monnaies complémentaires communautaires et/ou locales ont vocation à permettre des compléments de transaction ou de revenus, en dehors du cadre du cours légal de la monnaie officielle dans un pays donné, ce qui écarte tout risque inflationniste. Elles facilitent dans des territoires dans lesquels le revenu médian est inférieur à la moyenne nationale un accès discerné à des biens et des services, afin de rehausser de façon temporaire ou durable le pouvoir d’achat des personnes vulnérabilisés par un coût de la vie excédant leurs ressources, en les protégeant par la même occasion de la spirale de l’endettement.
* Le pouvoir de la Monnaie, Paris, Les liens qui libèrent, 2024, dont la co-autrice Jézabel Couppey-Soubeyran intervient dans cette session.
Les enregistrements sonores et vidéo des sessions de l’Université du Bien Commun à Paris sont diffusés sur le site internet de l’Université et font l’objet d’émissions sur Radio Fréquence Paris Plurielle
L’UNIVERSITÉ DU BIEN COMMUN À PARIS
Identifier, faire connaître et reconnaître les biens communs comme des spécificités démocratiques, écologiques, économiques et juridiques.
Initiée en 2017 par Riccardo Petrella, Frédéric de Beauvoir et Cristina Bertelli – avec Yovan Gilles et la revue Les périphériques vous parlent -, rejoints par les membres fondateurs, l’Université du bien commun à Paris est dirigée par un comité de pilotage qui oriente et organise les activités.
Des intervenant.e.s, sympathisant.e.s et collaborateur.rice.s, un réseau de chercheur·e·s, spécialistes, juristes, praticiens de la biodiversité, des militant·e·s associatifs, des parlementaires et des collectifs de citoyens permettent d’affirmer son rôle d’Université, populaire et collégiale, de développer et de renouveler ses interventions, de suivre les évolutions concernant les biens communs en France et dans le monde.
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